Nouvelle Societe

19-12-05

01 La richesse et son double

Filed under: Auteur — pierrejcallard @ 9:14

A l’origine, la richesse est la possession d’objets qui ont valeur d’usage, c’est-à-dire d’objets dont on peut tirer un SERVICE: une pelle, une vigne, un esclave… Mieux, c’est la possession d’une chose qui produira d’autres choses dont on tirera encore plus de services: une terre qui portera des fruits, une vache qui donnera des veaux, etc. Assez tôt, cependant, pour la commodité des échanges, sont apparus des symboles.

D’abord, des symboles de simple opportunité sont apparus conférent, sans plus, le droit de disposer du bien qu’ils représentent. Un immeuble représenté par un titre de propriété sur une tablette d’argile chez les Sumériens en est un exemple. La possession d’un objet peut alors être dissociée de sa propriété, permettant de grever et de transmettre les biens et les droits qui s’y rattachent en manipulant uniquement des symboles.  On peut bouger un peu.

Des transactions dans le symbolique peuvent aussi prendre effet dans la réalité. Le contenu d’un arrivage, par exemple, peut être représenté par un connaissement. Bien pratique. De sorte que chaque bien réel de quelque conséquence va vite avoir sa représentation symbolique qui en facilite la manipulation et on passe vraiment du troc au commerce,  Bien sûr, il faut faire confiance….

L’idéal est donc de pouvoir se convaincre que le symbole a une valeur réelle intrinsèque. Certains objets, comme l’or et les pierres précieuses, peuvent ainsi prendre une valeur consensuelle reposant sur leur rareté. Même rareté prise en compte, toutefois, c’est dans le consensus et non dans sa substance propre que le symbole revêt une valeur objective qui en fait un moyen d’échange.   Il ne devient donc  vraiment une “richesse” que quand sa valeur fait largement consensus ou mieux, que son usage est imposé.

Ce que comprennent vite ceux qui ont le pouvoir d’en imposer l’usage. Dès qu’un pouvoir crédible nait qui peut faire respecter dans la réalité ce qui est convenu dans l’univers des symboles, des symboles plus abstraits apparaissent dont la valeur ne repose plus sur la rareté ou une quelconque valeur intrinsèque, mais sur le consensus suffisant quant au pouvoir bien réel de l’autorité en place.  Quand ce consensus existe, l’État peut battre monnaie.

L’État qui peut battre monnaie est riche. La richesse, qui jusque-là consistait en bien d’usage meubles et immeubles, peut revêtir la forme de monnaie, un ” bien” dont la valeur propre est nulle, mais  qui assume celle de la crédibilité de celui qui l’émet. Si l’État en a la force, tout peut être à lui en échange de cette monnaie qu’il crée à sa guise.

A lui sans violence, car, dans une société de « droit », l’État se réserve celui d’assigner à toute richesse réelle son double symbolique qui la représente. La valeur de toute chose est exprimée en monnaie, toute transaction est faite en monnaie et toute taxe perçue l’est en monnaie. La richesse réelle ne disparaît pas, mais, par la volonté de l’État, une richesse symbolique – spéculative dans le sens étymologique du terme (speculum = miroir ) – devient le miroir de la richesse réelle.

Toute l’activité économique a lieu désormais dans ce “miroir” que constitue la richesse montaire. Ce qui est immensément pratique, et avoir appris a manipuler des symboles plutôt que des choses a été un grand pas en avant pour l’humanité. Mais il y a tout de même deux (2) inconvénients immédiats à cette monétarisation.

Le premier, c’est que la valeur monétaire de l’objet peut varier indépendamment de sa valeur d’usage, en fonction des prévisions et des fabulations qui circulent quant à la valeur future de l’objet représenté. Cette variation consensuelle de la valeur dans le “miroir”, sans que la valeur réelle de l’objet ne change, constitue la “spéculation” au sens propre du terme.

Les métaux précieux, les œuvres d’art et autres objets auxquels on prête une valeur propre sont en fait d’autres symboles, créés par consensus, dont la valeur est plus ou moins précaire selon la permanence du lien qui les relie une réalité et selon la stabilité apparente du consensus sur lequel ils s’appuient.

Cette précarité ne se manifeste nulle part mieux que dans l’écart entre la valeur aux livres d’une compagnie et la valeur en Bourse des actions qui en constituent la capital social. Les actions du capital social d’une compagnie représentent en principe une part des avoirs réels de la compagnie qui les émet, mais, en pratique, leur valeur marchande repose sur un consensus quant au profit éventuel qu’on en pourra tirer. On spécule beaucoup sur cette variation qui est devenue une bombe amorcée, dans la cave du système capitaliste.

Le deuxième inconvénient, c’est que la valeur symbolique en monnaie des choses peut varier selon le bon plaisir ceux qui déterminent la masse monétaire censée représenter la somme des biens que nous possédons… et donc la valeur réelle de chaque unité monétaire comme la valeur monétaire de chaque chose. Une deuxième spéculation intervient donc constamment, alors que la valeur consensuelle des biens se dissocie de leur valeur monétaire dont c’est celui qui émet la monnaie – en principe l’État – qui est finalement le seul décideur.

Dans une économie monétarisée, tout se passe dans le miroir. Mais il faut se souvenir que la richesse RÉELLE est la valeur d’usage. Car si une catastrophe naturelle ou politique détruit le pouvoir de l’État et rompt le consensus, il n’existe plus d’autre richesse que cette valeur d’usage. Quand le pouvoir qui les sous-tend manque de souffle, les symboles faseyent et perdent leur sens, un à un, en fonction inverse de leur “réalité”. Les titres en bourse et la monnaie d’abord, les oeuvres d’art et autres valeur consensuelles, puis l’or lui-même si l’on en arrive à une pénurie finale.

Seule, en dernier lieu, subsiste la valeur d’usage des choses – terre, outils, nourriture – et même les symboles qui représentent ces choses (titres de propriétés, certificats, connaissements, etc) se transforment en citrouilles quand l’autorité disparaît et que c’est la seule possession qui vaut titre. Il ne faut pas l’oublier.

Pierre JC Allard

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